Haïti

« André Pierre, peintre naïf d'inspiration vaudou, houngan lui-même de son état, représente un véritable manifeste à lui tout seul. Il a emprunté la palette de Rimbaud. Le mélange de ses couleurs compose des mots. Chacun de ses tableaux forme un poème qui mériterait d'être livré avec une cassette enregistrée. Car la peinture, voyez-vous, n'a rien à voir avec la beauté mais "doit dire le bon". André Pierre est un merveilleux conteur. Mes amis artistes, Jean Gérard et Sergine m'ont accompagné chez le vieux maître. Sous la tonnelle de l'atelier, le clairin passe de bouche en bouche et maintient notre petite assemblée dans la plus parfaite hilarité. André Pierre est très inspiré aujourd'hui. Il faut reconnaître que Sergine est ce que l'héritage artistique du pays a probablement engendré de plus ravissant ces dernières années. 

Il est en verve. Les tableaux ne cessent de défiler sur les quatre planches de bois délabrées qui font office de chevalet. Chaque fois, nous sommes régalés d'une petite comptine de la taille d'un sonnet, aux chutes inattendues, entrecoupée d'un aller-retour à la remise, juste à côté, pour nous rapporter une nouvelle œuvre. On ne m'avait jamais dépeint le vaudou sous un spectre aussi gai. 
– Avez-vous déjà vu le vrai visage du diable ? 
Non, aucun d'entre nous ne l'a jamais vu. Que va-t-il nous inventer ? 
Il s'engouffre à nouveau dans sa remise et réapparaît avec un sourire en coin mais, à notre grande surprise, sans le moindre tableau. Il se plante devant nous et, après avoir mis la main à sa poche, jette dans la poussière à nos pieds... une poignée de pièces de monnaie. 
– Voilà le vrai visage de Satan ! »

Extrait de Titouan en Haïti, 2003, Éditions Gallimard