Russie

« Non, ce n’est pas Tourgueniev qui vous invite en promenade dans l’immense steppe russe mais l’intellectuel roumain Andreï Ujika qui nous embarque dans sa Lada sur la route de la Cité des Étoiles à proximité de Moscou. Nous sommes au mois de mars, il fait un temps pourri ; le ciel est gris, strié de gros flocons. Les barres de béton de l’interminable banlieue de Moscou se sont raréfiées peu à peu pour faire place à une forêt de bouleaux noire comme la nuit. Je viens de passer deux heures au poste. Je me suis fait embarquer pour avoir photographié l’une de ces impressionnantes barres de béton précisément. Il a finalement été décidé qu’il n’était plus interdit aux étrangers de photographier les barres de béton. 

(...) La Cité des Étoile, temple de la haute technologie, évoque vaguement une maison de la culture délabrée de province en simplement beaucoup plus massif. Des bourrasques de neige s’immiscent par les menuiseries métalliques disjointes. Le revêtement d’un lino années 1950 se décolle par plaques. Dans les toilettes des seaux font office de chasse d’eau. (…) Mais, cette première impression de décrépitude digérée, la Cité des Étoiles engendre ce même sentiment que m’avait insufflé la découverte de Moscou à mon arrivée : une émanation de puissance indestructible. À Moscou, les avenues sont plus larges ; les constructions semblent toutes monumentales, ancrées au plus profond de la terre. Même la plus mignonne des datchas est taillée dans du bois lourd. J’éprouvais le trouble d’une rencontre d’un type différent avec le peuple invincible. »

Extrait de Carnets de voyage 2, 2000, Éditions Gallimard