Sous les étoiles

Le paradis existe. Ténu, fragile, unique dans l’univers, jusqu’à preuve du contraire. Ce phénomène est né de la confrontation de l’énergie d’une étoile, le Soleil, avec les forces telluriques de notre  planète. Certains scientifiques le nomment Zone critique. C’est en résidant dans les îles polynésiennes du Pacifique que j’ai récemment pris conscience de l’extrême minceur et de la grande vulnérabilité de ce minuscule espace habitable à la surface de la Terre qui accueille depuis des milliards d’années l’évolution du vivant auquel nous appartenons et auquel nous promettons la proche extinction. Je n’avais auparavant jamais envisagé notre réalité sous cet angle.  Je considérais l’océan comme un gigantesque puits de lumière abyssal et non comme une flaque d’eau ! J’embrassais l’atmosphère comme un espace infini tutoyant les étoiles et non se réduisant à quelques petits kilomètres. Inspirées de cette merveilleuse explosion de biodiversité terrestre et marine, mes peintures sont autant de visions. L’ensemble des œuvres présentées ici forme un hommage au paradis terrestre.

Titouan Lamazou, Tahiti - 2024

En décadrant, décentrant, individualisant, nommant, complexifiant, l’art peut contribuer à favoriser une large prise de conscience écologique. « Parce que la pensée écologique est si nouvelle, si ouverte, et par conséquent si difficile, il semble évident que l’art peut nous montrer une partie du chemin2 », nous rappelle Timothy Morton. Frapper les esprits et illustrer des phénomènes invisibles sont quelques-unes des magies possibles de la peinture. Titouan Lamazou s’y emploie de toute la force de son art, pour rendre compte du miracle fragile qu’est le vivant « sous les étoiles ». 

Laetitia Chauvin, Critique d’art- 2024

Titouan Lamazou nous amène à repenser notre rapport au Monde, au vivant et au non vivant, de manière moins clivée et plus intégrée, puisque nous sommes une partie prenante de ce que nous nommons nature en s’en distinguant, en s’en extirpant. Titouan nous aide à décentrer nos regards et à réinventer le projet même de gouvernement de la nature par les humains en recréant le lien de réciprocité que l’on trouve aujourd’hui encore dans certains modes de gestion des écosystèmes et des « ressources » naturelles en Polynésie française comme le rāhui, ce modèle historique de gestion des ressources naturelles avec un système d’interdit spatial et temporel qui permet une gestion durable et qui est remis au goût du jour dans le contexte du changement global. Ces jachères de la mer au secours des lagons constituent un exemple abouti de mise en œuvre de gouvernance territoriale et de gestion par le concept de socio-écosystèmes fondées sur la construction et le respect des communs à laquelle contribue l’oeuvre aux interfaces de Titouan Lamazou. 

Camille Mazé, directrice de recherche CNRS, SciencesPo-CEVIPOV - 2024